Comment faire pour intéresser ce fameux couple qu’est M. et Mme Tout le monde à la question de l’humus? J’en conviens, le sujet n’a rien de bien sexy à première vue.
Carole Poliquin, réalisatrice de HUMUS, a pourtant vu là quelque chose d’assez important pour en faire le titre de son film.
Trois éléments ont été des clés dans ma compréhension du caractère sacré et pourtant si fragile de l’humus.
Le premier, c’est l’histoire de l’apparition de la vie et de son évolution sur les terres émergées de notre planète (rien que ça). Les premières formes de vie sont apparues dans l’eau, il y a environ 4 milliards d’années. Les masses continentales n’étaient alors que de la roche, sans vie. C’est grâce à une alliance inusitée entre plante (algue) et champignon que la vie a pu se propager sur les terres émergées, d’abord sur les côtes, il y a environ 450 millions d’années. Par la structure filamenteuse de son mycélium, le champignon était capable de s’immiscer dans les fractures du roc, puisant là de précieux minéraux. La plante, par la photosynthèse, était capable de transformer l’énergie solaire en glucides. Toute seule, la plante n’avait pas accès aux minéraux nécessaires à son développement. Et seul, le champignon n’avait pas accès à cette nourriture essentielle que sont les glucides. En s’alliant, en partageant les fruits de leurs atouts respectifs, algue et champignon ont fait naître la première forme de vie sur la roche émergée : le lichen ! C’était le début d’un lent processus de colonisation de la terre par une infinité de formes de vie. Des millions d’années s’écouleront avant que se forme à la surface de la terre une couche de sol tel qu’on le connaît. Plusieurs types de symbioses entre espèces ont permis de conquérir des milieux différents (plaines, montagnes) et de créer des sols aux propriétés différentes. Ce qu’il faut retenir en gros, c’est que le sol s’est tranquillement formé par la vie et la mort de végétaux de plus en plus complexes. Ces débris végétaux, aidés par le travail des microorganismes, se sont décomposés sur la matière minérale (roc ou particules minérales de tailles diverses – gravier, sable, limon…), se mélangeant aussi à elle grâce aux allers-retours des vers de terre, et ont créé au fil du temps une mince couche de sol à la surface du globe : de quelques centimètres à un mètre d’épaisseur selon les régions du monde, par comparaison à une écorce terrestre qui fait en moyenne 30,000 mètres d’épaisseur ! J’ai été saisie par l’échelle de temps. Il avait donc fallu des millions d’années pour créer cette mince couche à la surface de la terre, de laquelle dépend pourtant l’ensemble du vivant !?!
Le deuxième élément, c’est la vitesse à laquelle on perd aujourd’hui cette couche de terre arable. Avec les méthodes de l’agriculture industrielle moderne, on estime la perte de sol à 1,5 mm en moyenne à chaque année sur le globe. À ce rythme, on aura perdu 1 pouce en quelques 17 ans, alors que la nature met plus ou moins 1000 ans à créer ce pouce de terre.
Le troisième élément, c’est le caractère vital de l’humus. J’ai jusqu’ici parlé du sol sans le distinguer de l’humus. Un sol en santé est composé de matières minérales telles que gravier, sable, limons, etc. (≈45%), d’eau (20-30%), d’air (20-30%) et d’une petite part de matières organiques (2% à 12% selon les types de sols et leur degré de dégradation). On pourrait définir simplement les matières organiques par « l’ensemble de ce qui est ou a été vivant dans le sol » (racines, feuilles, bactéries, champignons, os de souris 😊…). L’humus est issu de la dégradation de ces matières organiques. Il est cette partie foncée, voire noire, du sol. Celle que notre instinct reconnaît comme fertile, vivante, génératrice d’abondance. Contrairement à ce que l’industrie des engrais chimiques voudrait nous faire croire, l’humus est l’unique source de fertilité pérenne. Épuiser une terre équivaut à épuiser son humus.
Les fonctions de l’humus sont nombreuses.
On pourrait dire qu’il est carrément le liant du sol, ce qui fait tenir ensemble ses différents composants. Moins un sol est riche en humus, plus il sera sensible à l’érosion. On n’a qu’à penser au désert, masse de sable sans humus, et on l’imagine aisément être soulevé et emporté par le vent. L’humus agit aussi comme une éponge : il retient l’eau dans le sol, créant ainsi une réserve disponible en cas de sécheresse. Puisque l’humus emmagasine la vie sous toutes ses formes, et que la vie est faite de carbone, on peut dire que l’humus est un réservoir de carbone. Il stocke le carbone à même le sol, plutôt que celui-ci soit libéré dans l’atmosphère. L’humus joue donc le rôle de régulateur de climat. Et la liste pourrait s’allonger…
Toute la fertilité d’un sol dépend de de sa teneur en humus. En le maltraitant, on compromet sa capacité à nous nourrir.
David Montgomery, géologue américain, a bien démontré dans son livre Dirt : the Erosion of Civilizations (2007), comment les grandes civilisations (Mésopotamie, Grèce antique, Empire romain, Mayas…) se sont écroulées après avoir épuisé les sols dont ils disposaient, laissant des déserts là où ils avaient jadis prospéré. Reproduirons-nous cette erreur séculaire, mais aujourd’hui à l’échelle globale?
Imaginez maintenant cette matière noire, collante et friable à la fois, à l’odeur de sous-bois, grouillante et mystérieuse…
L’humus est pour moi la trace tangible, émouvante, du passage sur terre de toutes les formes de vies terrestres. Mais plus encore, il témoigne de leur égalité fondamentale. Qu’ils soient bactéries, renards, pissenlits ou humains : tous, à leur mort, enrichissent le sol, et de ce fait, participent à la naissance des êtres vivants de demain.
Comme dirait Carole: « De la même racine… Humus, humain, humilité. ».